Le réseau Espérance banlieues innove en introduisant des « Ateliers Philo » pour les collégiens, de la 6e à la 3e. Portée par Clémence du Fayet et Philémon Leenhardt, cette initiative vise à structurer un programme philosophique adapté aux adolescents, les invitant à explorer des questions profondes tout en développant leur esprit critique. Dans cette interview, Clémence du Fayet nous dévoile les ambitions et la mise en œuvre de ce projet novateur, conçu pour éveiller la réflexion et accompagner les jeunes dans leur parcours éducatif. 

Avant toute chose, comment définiriez-vous la philosophie, et en particulier, un cours de philosophie ? 

Clémence du Fayet : Pour faire simple, la philosophie, c’est avant tout l’amour de la sagesse, une quête constante pour mieux comprendre la vie. Dans notre enseignement, un cours de philosophie encourage les élèves à formuler leurs propres pensées, à développer leur autonomie et à se questionner sur le monde et sur eux-mêmes. 

Au regard de cette définition, quelle est l’idée initiale derrière ce projet ? 

Clémence du Fayet : Si la philosophie est une quête constante pour mieux comprendre la vie, alors c’est une discipline qui peut être enseignée à tous, moyennant une adaptation selon l’âge. Depuis quelques années, des cours de FFRH (Fond et Forme de la Relation Humaine), qui ressemblent à des cours de philosophie avec une dimension morale, sont dispensés au primaire et au collège. Cependant, ces cours avaient besoin de structure et ne nous emblaient pas assez pas adaptés au niveau des élèves, notamment au collège. Notre objectif était donc de proposer un contenu philosophique qui interpelle les élèves, les rejoigne dans leur quotidien et leurs questionnements d’adolescents. Après plusieurs années de travail, nous avons réussi à modéliser un parcours structuré, en collaboration avec un autre professeur, Philémon Leenhardt, afin que ce programme puisse être diffusé dans toutes les écoles Espérance banlieues.

En quoi ce programme est-il spécifique au collège ? 

Clémence du Fayet : Pour l’instant, les Ateliers Philo sont spécifiques au collège, mais ils s’inscrivent dans la continuité du cours de FFRH enseigné au primaire. A travers ce parcours plus concret et structuré, les collégiens abordent des thèmes qui leur sont adaptés : la place de l’homme dans la nature en 6e, la différence entre croire et savoir en 5e, la fraternité et le sens de l’existence en 4e, et l’identité et le bonheur en 3e. 

Comment ces ateliers s’inscrivent-ils dans les trois piliers d’Espérance banlieues : enseigner, éduquer, enraciner ? 

Clémence du Fayet : Le programme de philosophie traverse les trois piliers. Pour l’enseignement, il développe l’esprit critique, l’argumentation, et la prise de parole. Pour l’éducation, il se concentre sur la connaissance de soi, avec des parcours spécifiques pour chaque niveau. Quant à l’enracinement, il est présent dans tous les sujets abordés, en travaillant sur des valeurs comme la tolérance et l’égalité, et en aidant les élèves à réfléchir sur leur place dans la société. 

Comment sont structurées les séances ? 

Clémence du Fayet : Les élèves ont une demi-heure d’atelier philo chaque semaine ou une heure toutes les deux semaines. Le programme est structuré autour de trois axes : « Connais-toi toi-même », « Vivre en société française » et « S’étonner devant l’univers ». Les séances sont construites selon une méthode progressive, permettant aux élèves de développer leur réflexion de manière structurée, ce qui rend les débats plus productifs. 

Pouvez-vous donner un exemple ? 

Clémence du Fayet : Un exemple marquant est une discussion sur la normalité où les élèves ont choisi de se pencher sur la question de l’intégration dans un nouveau pays, l’Inde, pour illustrer l’importance de suivre les normes. Cette réflexion a ensuite été transposée à la France, où les élèves ont réalisé l’importance de connaître et respecter les traditions culturelles locales, même s’ils ne les partagent pas entièrement. Ce type de discussion aide les élèves à verbaliser leurs pensées de manière raisonnée et dépassionnée, tout en les responsabilisant dans le débat. 

Comment parvenez vous à dépassionner les débats dans vos cours ? 

Clémence du Fayet : Cela repose sur une dynamique globale instaurée au fil des années. Les élèves sont habitués à cette méthode, qui privilégie une logique constructive et une parole libre mais encadrée. Je me positionne davantage en facilitateur qu’en détenteur de savoir, laissant de l’espace pour que les élèves s’expriment. Cette approche responsabilise les élèves et leur permet de développer leur esprit critique dans un cadre structuré. 

Quel est votre souhait pour les élèves après ces quatre années d’enseignement ? 

Clémence du Fayet : Mon souhait est qu’ils repartent avec une véritable expérience de l’esprit critique, une meilleure connaissance d’eux-mêmes et une maturité qui les prépare à être acteurs de leur avenir. J’aimerais qu’ils soient capables de penser par eux-mêmes, de distinguer les bonnes des mauvaises influences, et de faire des choix éclairés pour leur orientation future. La philosophie vise l’autonomie et l’émancipation par la sagesse, et c’est ce que j’espère qu’ils auront acquis en quittant le collège. 

Que répondez-vous à ceux qui pensent que la philosophie n’est pas adaptée aux enfants qui sont moins scolaires que d’autres ? 

Clémence du Fayet : Au contraire, la philosophie peut être particulièrement bénéfique pour ces élèves. Ce cours ne suit pas le modèle scolaire traditionnel. Il s’agit de leur permettre de formuler ce qu’ils ressentent et pensent, de participer à une discussion où leur avis compte, et de développer leur capacité à réfléchir de manière autonome. 

Photo : © Aurore Baron